> Lise ROUSSET
Les enveloppements du vent
Nadya Bertaux détisse et retisse apprivoisant le temps. Pour ne pas subir le temps mais l’agir. Ce processus est un rituel méditatif. Le fil et la vie sont liés par la force du symbole. La trame de fine moustiquaire métallique est déliée, puis les fils réenchevêtrés inventent des formes variées.
L’élaboration des œuvres est longue. Nadya Bertaux revendique ce travail d’ouvrière nécessitant patience et précision et qui devient même une manière d’être à l’exemple de l’araignée infatigable, diligente, affairée, façonnant sa toile.
Ces sculptures, minuscules ou monumentales, encloses sur elles mêmes comme des chrysalides secrètes ou des développées ouvertes telles des draperies déployées, investissent l’espace et intensifient notre rapport à celui-ci : notre regard n’est pas uniquement attiré frontalement mais dans toutes les directions du cube blanc de la pièce d’exposition. Il y a une prégnance de la paroi dans certaines œuvres et dans leur mise en espace comme si elles épousaient et révélaient les faces du volume d’exposition qui devient lui-même la réplique agrandie de la boîte crânienne où fleurissent les idées. En déambulant à travers les œuvres, nous en expérimentons tous les points de vue. Dans le mouvement fluide de notre corps, notre pensée se libère. Promenade rêvée.
Cette sculpture est riche d’investigations du sens. Elle explore tous les registres : bas-relief, haut-relief, et certaines œuvres troublantes jouent de l’ambivalence entre ces deux termes. Tout en revendiquant le plan, celles-ci engendrent la spatialité par le drapé retombant sur le sol. Cette mobilisation des différents plans de la salle d'exposition permet une interaction très grande avec le lieu, s’éloignant de l’aspect sculptural pour un propos architectural.
Elle investit aussi plusieurs genres formels, l’abstraction géométrique (sphères, rectangles) et l’informe métaphorique (nuages, comètes échevelées).
Enfin, elle établit la transsubstantiation du matériau ; de métalliques, rigides et froides, les fibres se transforment en un duvet irrésistiblement voluptueux qui encourage la caresse. Pourtant si cette œuvre émet une incitation tactile irrépressible, elle la frustre dans l’instant même du contact que le regardeur par effraction se permet. Ainsi, nous restons dans une désillusion d’atteindre au mystère de cette matière éthérée quasi dématérialisée comme chair de nuage, chair du vide car à notre grande déconvenue, il ne reste entre nos doigts que le prosaïsme d’un fil de métal, banal et inerte.
Cette matière insaisissable, cette matière raréfiée, faite plus de vide que de plein, semble palpiter du mouvement brownien de particules élémentaires assurant une cohésion temporaire mouvante et évanescente à des formes en suspens.
Formes nées du vent, formes acheiropoïètes en somme, non faites de mains humaines, comme les titres l’indiquent ou l’induisent. Le vent se substitue à Nadya Bertaux pour créer ces enveloppes fragiles, poétiques. Le vent comme vecteur de transmission d’affects pour atteindre l’autre.
Le vent, un déplacement d’air, un souffle, soit le principe vital par excellence. Car l’air en mouvement lie notre intériorité et le monde extérieur. Ainsi pouvons-nous appréhender ces sculptures comme les résultantes d’un souffle mais loin d’être des dépouilles à tout jamais désertées, elles semblent encore exister par cet espacement d’air qui les maintient, sous nos yeux, formées. Alors se déploie l’abîme d’une chose au monde dans sa plus grande intensité par ce que dans sa plus grande précarité.
Le réel, par une magie du défaire, par une raréfaction de matière, par un peu d’air, se spiritualise.
L’imaginaire de Nadya Bertaux, lié au vent nous propose une poétique de l’air. Être dans le vent, soit dans l’infini de l’ailleurs. Se laisser emporter, transporter par l’énergie de l’élément au sens physique comme au sens psychologique pour un sentiment d’élévation et de liberté. Une libération par le laisser aller, par l’abandon. Une libération sans effort, sans combat, sans résistance. Consentir enfin à se laisser submerger par cet élément indiscipliné.
Être dans le vent, c’est être perpétuellement dans le mouvement, « habiter l’ailleurs », ne plus appartenir à un lieu où l’on se tient, que l’on possède et qui nous possède, lieu qui nous caractérise, nous constitue, nous prédestine, nous limite. Être dans le vent, dans la permanence de l’impermanence.
Être dans le vent, c’est être aussi totalement disponible à la rencontre, créer des liens avec l’autre. Le lien, la ligature, le réseau sont des paradigmes de l'œuvre de Nadya Bertaux. Ces liens physiques représentent des liens psychiques. Fils des récits, des rencontres. Fils qui induisent des voyages pour se perdre et se retrouver... Contacts tout à la fois intenses et fragiles.
Lise Rousset, 2014
Pour l'expostition "Les larmes du vent" Musée du Textile de Cholet