> Bernard goy
L’approche d’une sculpture
L’artiste a pu croire qu’il imitait la nature, puis qu’il ne l’imitait pas. Gageons qu’il a toujours laissé croire qu’il était dupe de l’une ou l’autre de ces deux propositions. Cela lui permit surtout de dire le monde sans attirer l’attention sur le sens, mais sur la forme de ses œuvres, le sens dès lors se diffusant librement de nos yeux à nos cœurs et à nos cerveaux.
On ne demande pas d’un concerto ce qu’il représente ; c’est pourtant ce qui se passe : il représente une relation entre le compositeur et le monde, relation d’une rare intimité. Une œuvre, une sculpture en particulier, donne forme à un moment vécu, à une idée, voire, à une vision. On n’imagine pas une « Sainte Thérèse » du Bernin à la fin du XIX e siècle, parce qu’alors l’Église n’a guère de goût pour l’extase mystique : la petite sainte de Lisieux est plus proche du goût du temps que l’incandescence Thérèse d’Avila. Il est clair alors que le Bernin n’a cherché dans son chef-d’œuvre de ressemblance qu ‘avec les poèmes de la Sainte Espagnole : il a fait le portrait d’une extase, pas celui d’une femme.
Aujourd’hui, pour parler de sculpture, on distinguera volontiers entre des objets utilitaires qui peuvent être beaux (une Ferrari, un presse-citron de Philippe Starck), et d’autres parfaitement inutiles qui semblent vouloir garder secrète la nécessité de leur existence. Ceux-là sont des œuvres d’art dans la mesure où ils représentent, hors du sens commun, un sens particulier qui renvoie le spectateur à sa propre relation avec les choses non avec le mode d’emploi que lui donne son époque, sa classe sociale, etc...
Si Nadya Bertaux donne des titres à ses œuvres, c’est qu’elle ne craint pas leur appartenance à un langage qu’elle élabore au fur et à mesure de son cheminement dans le monde de la matière brute, ou revenue au brut, comme ces objets ou ces formes qui ont servi dans un chantier et que l’oubli des hommes renvoie à une existence poétique plus ou moins sauvage.
Cela non sans humour, comme dans ce titre éloquent, « l’enfermement du mal », la sculpture est complexe et renvoie semble-t-il à l’antique culte de Priape, entre autres... car à l’évidence, enfermant le mal, l’œuvre libère d’autres sens. Ainsi, le « cyprès » se rapproche-t-il peut-être plus qu’il n’y paraît de cet arbre en apparence compact, en révélant la nature virtuelle de ces feux froids et sombres, auprès desquels on hésite toujours un peu à se rendre de crainte d’y voir, au pied, quelque tombeau oublié.
Il resta d’une exposition de Nadya Bertaux le sentiment d’une œuvre en devenir qui détient déjà son langage, un langage élégant sans fioritures, où se mêlent sans se confondre espaces et matières, lignes et volumes surfacés de couleur, et où l’on discerne cette humilité qui est peut-être l’orgueil de l’art contemporain lorsqu’il ne cherche pas les succès faciles : des emprunts discrets aux époques passées sans allégeance à l’histoire qui toujours s’empresse de classer l’inclassable, l’esprit qui vit dans les formes.
Bernard Goy, 1991
Pour l'exposition "De fer et de plâtre" Galerie Maurice Ravel